Rencontre avec Frédéric Agid, un tatoueur poète dans l’âme

Frederic Agid

Frédéric Agid aurait pu être l’un de mes tatoueurs. Je suis tombée amoureuse de la douceur de ses dessins et de l’originalité des maximes qui les accompagnent. Ils ont le don de donner le sourire, de faire ressortir une émotion, si bien que je vois chacun de ses personnages comme des petits protecteurs contre le mauvais sort et l’infortune.

Frédéric Agid a la particularité d’attribuer une histoire à ses tatouages. C’est à la fois un dessinateur et un conteur, un fabulateur moderne.

Lorsque je suis venue le rencontrer dans son studio, mes yeux ont papillonné sur le mur noir sur lequel était inscrit en lettres d’or « Alors, ça vous gratouille ou ça vous chatouille ? », les plantes, le carrelage, tandis que Chapelier Fou défilait en fond sonore… C’est dans cette ambiance chaleureuse et personnelle que nous avons commencé notre interview :

 

Photo frédéric agid

Avant d’être tatoueur, tu es avant tout dessinateur. Comment es-tu tombé dans le milieu ?

Frédéric : Je suis arrivé dans le monde du tatouage par hasard, il y a trois ans. Initialement, j’étais créatif publicitaire. Comme je dessinais, on m’a proposé de plus en plus régulièrement de faire des dessins pour des projets de tatouages. C’est à partir de là que tout a commencé. Je me suis dit que si mes projets étaient tatouables pourquoi ne pas en faire moi-même ? Et c’est ce que j’ai fait.

Je n’ai pas voulu suivre le circuit habituel de l’apprentissage. J’ai 43 ans et je me voyais mal avec un SMIC, des tâches logistiques à effectuer ainsi que d’attendre des mois avant d’apprendre à tatouer alors que ça peut se faire en quelques semaines.

À cause de l’activité commerciale d’un salon, un maître ne peut pas se dédier à 100 % à son apprenti. En théorie, c’est jouable, mais pas dans la pratique, c’est pourquoi c’est beaucoup plus long.

J’ai donc décidé d’apprendre seul. J’ai acheté du bon matériel et je me suis entraîné sur des oreilles de cochon. À mon grand désarroi, il n’existe aucun tuto.

 

Du coup, comment as-tu fait pour dépasser les difficultés techniques ?

Frédéric : À la base, je n’étais pas tatoué. C’est en me faisant tatouer que j’ai appris. Je me suis fait faire douze tatouages par des artistes que je considérais comme des exemples à suivre. Les voir bosser me permettait de saisir la technique. À chaque fois qu’ils faisaient quelque chose que je ne saisissais pas, je posais des questions : pourquoi tu mets ce produit, pourquoi tu fais ça ?

On peut dire que j’étais une sorte espèce d’espion industriel.

Après m’être fait couvrir de tattoos, je m’en suis fait un qui n’était pas si horrible que ça. J’ai commencé à tatouer les copains et comme personne n’a porté plainte, j’ai décidé de me lancer il y a deux ans et demi. Aujourd’hui, j’ai une activité régulière de deux ou trois tatouages par semaine.

studio frederic agid

Peux-tu me parler de ton studio ? Depuis quand es-tu installé ?

Frédéric : Je suis installé ici depuis novembre 2016, ça va faire un an. Mon studio est intégré dans un espace de co-working (le Remix). Pour moi, c’était important de ne pas être isolé et en même temps, ça ne me disait rien d’avoir un shop qui donne directement sur la rue, ça me donnait le sentiment d’entrer chez un kiné. Tu remarqueras que je suis le seul tatoueur ici et qu’il n’y a pas de vitrine : c’est une volonté de ma part, je voulais un espace dans lequel je suis seul et sans qu’on puisse être vu, rendre ce lieu confidentiel.

Ce qui m’a plu, c’est l’histoire de ce lieu atypique : il s’agit d’une ancienne close. Et exactement là où se situe le studio, c’était un bain.

 

Il y a quelque chose d’assez naïf dans tes dessins. Quels sont les artistes/les univers qui t’ont inspiré ?

Frédéric : Mes sources d’inspirations sont assez variées. Mon inspiration majeure c’est l’être humain, tout simplement, mes congénères. Je vais noter des détails dans un coin de ma tête et à un moment ça va resurgir dans un dessin.

Autrement, j’ai quelques figures maîtresses comme Egon Schiele qui est un artiste autrichien, Klimt ou Oscar kokoschka. J’aime l’art brut. Je prends également en exemple, d’autres tatoueurs. Je ne vais pas forcément les prendre comme source d’inspiration, mais c’est davantage un besoin de ma part de me rassurer. De temps en temps, je m’arrête sur le travail d’un de mes confrères, ce qui va me permettre de changer certains détails comme la façon de faire les étoiles ou de travailler un fond par exemple.

 

Tim Burton fait-il partie de tes sources d’inspiration ?

Frédéric : Tim Burton, on me le cite souvent. On m’a fait lire un livre de lui « La triste fin du petit Enfant Huître ». Je ne me retrouve pas particulièrement dans le style du dessin, mais davantage dans l’univers.

En ce moment, tu illustres les 22 arcanes du tarot divinatoire. Pourquoi ce choix ?

Frédéric : Il y a quelques mois, on m’a demandé de dessiner l’arcane de la lune qui est la treizième carte. Ça m’a beaucoup plu de travailler sur ce projet. J’aime travailler sur la symbolique et le sujet était intéressant. Comme il a eu un certain succès sur Instagram, j’ai décidé de continuer dans cette perspective et dessiner les 22 arcanes. Cela m’impose d’avoir un style régulier sur 22 dessins différents.

 

Récemment, tu as collaboré avec « baise en ville », créant ainsi 10 planches de skateboard uniques illustrées de tes dessins. Peux-tu nous parler de cette collaboration ?

Frédéric : « Baise en ville » m’ont contacté via les réseaux sociaux. Ils m’ont fait savoir qu’ils avaient récupéré des planches vintages en bois des années 70, des mini cruisers, qui sont par la suite devenus emblématiques. Il s’agissait des invendus de l’époque. J’ai fait du skate pendant des années, donc forcément c’est un projet qui me parlait. D’autant que j’avais déjà un attrait pour cette marque que je connaissais de renom.

Ils ont voulu en faire 10 planches uniques. Ensemble, on a choisi la thématique de Paris, ce qui me permettait de les illustrer à ma façon avec des petites maximes.

Elles ont d’abord fait l’objet d’une exposition au Fluctuat Nec Mergitur café, situé place de république. C’est un lieu symbolique puisque République est un haut lieu du skate. À l’issue de celle-ci, elles ont été mises en vente.

 

Quel procédé as-tu utilisé pour réaliser ces planches ?

Frédéric : J’ai travaillé d’abord sur papier, puis j’ai créé un transfert de mes propres mains. J’ai ensuite limé de la mine de plomb que j’ai frotté contre un kleenex. Grâce au calque sur la planche, j’ai pu reproduire les grandes lignes du dessin à même le bois.

C’est un procédé qui est proche de celui du tatouage finalement.

Sur Instagram, un de tes dessins dit « ne dites pas à ma mère que je suis tatoueur, elle me croit encore dans la publicité ». Est-ce vrai ?

Frédéric : Effectivement avant d’être tatoueur j’étais créatif publicitaire, mais ma mère est au courant de tout. Je me suis retrouvé à tatouer a un moment de ma vie où je suis retourné chez elle, après mon divorce. Entre deux projets graphiques, je m’installais dans le salon avec mes oreilles de cochon et c’est comme ça qu’on en a parlé.

J’ai complètement arrêté la pub il y a un an, mais il faut croire que ça me rattrape puisque cet été j’ai fait un film animé publicitaire avec Dr Martens.

 

Dernièrement, chaque tatouage que tu partages est accompagné d’un texte au sujet du tatoué. Est-ce que cela te semble important que chaque tatouage ait une histoire particulière ?

Frédéric : Chaque tatouage a forcément une histoire particulière.

Parfois, je la romance un peu pour éviter de dire ce que les gens ne veulent pas que je révèle, mais c’est vrai que cela parle aux gens qui sont peu ou pas tatoués justement.

Une des raisons pour lesquelles j’ai voulu devenir tatoueur, c’est pour aller à l’encontre du stéréotype qu’on a du tatoueur. Typiquement, je suis allé chercher ma cliente à la porte tout à l’heure. Quand elle m’a vu, elle a été surprise que ce soit moi le tatoueur, car je n’ai pas vraiment la tête de l’emploi.

Je tiens aussi par ces textes à souligner que le tatouage peut être ancré dans une forme de thérapie, dans un processus de guérison. L’acte en tant que tel et le fait de se faire encrer définitivement un mot, une définition, la symbolique d’un événement passé, heureux ou malheureux, peut être véritablement salvateur. C’est aussi une façon de montrer que ça peut concerner tout le monde. Le tatouage n’est pas qu’un courant artistique ou une mode, c’est avant tout une œuvre d’art.

Ma clientèle est assez atypique, car elle est essentiellement composée de femmes qui viennent réaliser leur premier tatouage. Mes textes encouragent les gens à se poser la question de la démarche du tatouage et j’aime mener cette réflexion avec mes clients pour souligner un fait marquant de leur vie. Un médecin-urgentiste est venu me voir, il m’a dit : « on a failli se séparer avec ma femme et je veux un truc autour de ça, qui me rappelle cette fragilité, que notre histoire n’est pas un long fleuve tranquille ». Sa démarche était une démarche initiatique.

 

Quelle histoire t’a le plus touché ?

Frédéric : Chaque histoire est touchante. Ma cliente d’aujourd’hui par exemple m’a dit : « c’est avec ton tatouage que je deviens vraiment une femme », elle était extrêmement émue (et moi aussi).

Mais je crois que l’histoire la plus émouvante, c’est une Anglaise qui est venue me voir de Londres. Elle m’a demandé de réaliser une caricature de son petit ami décédé. La séance a duré trois heures et elle a pleuré pendant trois heures. Elle était en train de faire son deuil.

Et en parlant de texte, la plupart de tes tatouages/dessins illustrent des jeux de mots. Peux-tu nous expliquer ce rapport que tu as entre le texte et le dessin ?

Frédéric : J’ai du mal à dissocier les deux ce qui est peut-être une faiblesse dans la pratique de mon art. Je pense que si.

Poser les mots sur un dessin ou inversement, ça permet de lever l’ambiguïté. Mes tatouages sont comme des blasons. Les personnages sont assez expressifs ce qui permet de limiter les malentendus. C’est d’autant plus important sur un tatouage porté sur des parties visibles.

Par exemple, pour « Paris en bouteille », j’aurais pu créer dix dessins différents, mais sans le texte, ils n’auraient peut-être pas eu le même sens.

 

As-tu des projets ?

Frédéric : Je vais faire une collection capsule pour Armorlux. Je vais illustrer 3 marinières et 3 tee-shirts. C’est quelque chose qui me plaît : j’ai envie de continuer à faire des dessins sur des tee-shirts. Je me dis que si ça fonctionne sur la peau, ça fonctionne aussi sur le tissu.

 

Si tu devais résumer ton univers en un mot ce serait ?

Frédéric : Poésie.

 

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