« Juste la fin du monde », adapté par Terry Misseraoui, dresse le portrait d’une famille déchirée

juste la fin du monde

L’année dernière sortait « Juste la fin du monde » de Xavier Dolan, drame bouleversant sur le retour et l’absence. Avant d’être un film, il s’agit d’abord d’une pièce de Théâtre de Jean-Luc Lagarce, écrit dans le cadre d’une bourse Léonard de Vinci, alors que son auteur se savait atteint du sida. La pièce relate le retour du fils prodige après 12 ans d’absence. Mourrant, il vient faire ses adieux à ses proches. 

Lorsque j’avais vu le film de Xavier Dolan, j’avais pu voir qu’il s’agissait d’une œuvre complexe de par le sujet abordé. L’adaptation de Terry Misseraoui qui se déroule actuellement au Théâtre Montmartre Galabru n’a pas fait exception.

À 19 h 30, Louis joué par Romain Moine apparaît dans le fond de la salle, une lanterne à la main comme sortant de l’obscurité. La pièce s’ouvre sur un premier monologue qui vient placer la situation. Il parle fort, semble décidé et pourtant quelque chose de fragile se dégage de Romain Moine. Il semble intimidé par le regard des spectateurs avant qu’on ne comprenne qu’il s’agit de son personnage qui redoute celui de sa famille.

On pourrait s’attendre qu’après douze ans d’absence, la famille de Louis soit heureuse de le retrouver enfin, mais chacun d’entre eux a eu le temps de nourrir un puissant ressentiment qui ne tarde pas à exploser à peine est-il arrivé. Tour à tour, sa mère (Isabelle Torris), son frère (Guillaume Chabaud), sa sœur (Laure Massard) et même sa belle-sœur (Noelle Malacchina) qu’il rencontre pour la première fois, viennent faire son propre procès. Louis ne revient pas pour retrouver ceux qui l’aiment, mais pour qu’ils puissent régler leur compte avant que la mort ne l’emporte. Pourtant, il n’apporte aucune réponse, juste des espoirs qu’il ne comblera pas, en leur faisant croire que la vie continue où moment où elle est sur le point de s’arrêter.

Sous l’apparence d’un décor aux couleurs vives se déroule un drame. C’est dans ce décor figé que s’expriment la colère et la frustration des protagonistes qui ne parviennent pas à se comprendre. Les paroles se transforment en cris et pourtant, ils ne peuvent s’empêcher d’avoir des gestes d’affection, de se toucher, se caresser pour exprimer ce que les mots ne parviennent pas à dire. Louis souffre de ce manque d’amour, de se sentir en décalage, différent, sans se rendre compte qu’à travers ses élans de jalousie, son frère lui hurle son admiration.

Louis n’en reste pas moins une sorte de modèle pour son frère et sa sœur qui formulent tous deux le vœu secret de partir. Suzanne, jeune fille espiègle, cherche constamment à obtenir l’adhésion de son frère. Son regard, son attention compte, elle projette sur lui une image idéalisée. Il est le miroir cassé de toute une famille où chacun y voit ce qu’il veut bien y voir.

Les personnages et les acteurs hurlent beaucoup, pourtant rien n’est véritablement dit, tout du moins pas l’essentiel. À aucun moment Louis n’annonce qu’il va mourir. Coincé dans le carcan familial, il ne parvient pas à s’exprimer. Il s’enferme progressivement dans un mutisme et redevient le petit garçon qu’il était malgré ses 34 ans, rentrant les épaules quand on le gronde. Romain Moine joue parfaitement cette envie de disparaître, en se faisant le spectateur des différentes scènes de ménage. Sa mère lui demande « mais quel âge as-tu ? ». Louis n’a pas cette capacité d’être homme que lors de ses monologues, lorsqu’il est seul face à nous.

Les moments les plus forts sont d’ailleurs ceux-là où on peut voir une montée progressive de sa propre colère, lui, d’apparence si impassible. Il se lance dans une danse macabre avec la mort qui le plonge dans une espèce de folie, s’en servant comme d’une arme contre sa famille. Une jolie scène qui fait sourire et dérange un peu. 

La fin ébranle et nous laisse les larmes au bord des yeux. Quand soudain le silence retombe dans la salle, nous prenons soudain conscience de l’avalanche d’émotions que nous venons de vivre. 

« Juste la fin du monde » dresse le portrait d’une famille qui pourrait être la nôtre et montre l’importance de l’unicité de celle-ci : quand un membre manque, c’est tout le groupe qui s’effondre. Face aux nombreux non-dits, le spectateur ne peut que se faire sa propre interprétation de la situation, sans comprendre avec exactitude les tenants et les aboutissants. C’est aussi la raison pour laquelle cette œuvre est aussi marquante, parce qu’elle nous parle directement et vient nous dérouter sur nos propres hypothèses, nous laissant parfois comme cette famille, dans le flou.

Une belle œuvre, mise en scène simplement tout en sachant viser juste.

Les prochaines représentations ont lieu tous les jeudis à 19h30 et les dimanches à 18h30 jusqu’au 28 décembre.

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