#13 – Témoignage d’un abus sexuel : une histoire banale…

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Je voudrais vous raconter une histoire banale. Une histoire qui arrive plus souvent qu’on ne le croit. Je le fais pour tenter de briser un tabou, pour participer moi aussi à aider les consciences à s’éveiller et peut-être quelque part pour m’en décharger. Pour mettre des mots sur des faits qu’on tait, qu’on intériorise et qui ont des conséquences. Pour me dire qu’elle ne me concerne pas seulement, mais qu’on l’est tous d’une certaine façon.

Ce n’est pas la première fois que j’essaye de raconter cette histoire, que je me lance dans une introduction bidon avant d’enfin pouvoir balancer ce qui me tenaille. J’ai l’impression que ce que je vais raconter va être long, mais en vérité cela pourrait se résumer en quelques mots : on m’a abusé. Je me suis faite abuser. Voilà, les faits sont posés ! Je sais que mes proches liront ce texte et pour vous rassurer, ça arrive à d’autres, peut-être de la même façon, peut-être en pire, c’est arrivé à moi. En somme c’est banal, mais c’est bien là tout le drame. J’ai mis du temps avant d’admettre ce qu’il s’était passé. Ce n’est pas quelque chose dont on parle spontanément. Je n’arrive d’ailleurs toujours pas à employer le mot “viol”. Quand quelqu’un le prononce, cela me semble trop fort et je suis presque prête à défendre le responsable. Je me sens parfois coupable voire responsable de ce qu’il s’est passé. Après tout, c’est moi qui me mets dans ce genre de situation, toute seule comme une grande. Je tombe sur des connards, c’est forcément que je le cherche… Mais assez tergiversé !

Je venais de rencontrer un garçon, galant, attentionné, gentil. Il semblait incarner toutes les qualités qu’on peut attendre d’une personne. Pourtant, sans que je sache pourquoi, quelque chose me repoussait chez lui. Son côté aristo sûrement. Il dégageait un truc qui me disait “lui, il ne se prend pas pour d’la merde, il se sent supérieur”. Le genre de sentiment qui me met mal à l’aise et me donne envie de rapetisser illico. J’ai voulu me raccrocher aux bonnes choses qui émanaient de lui. Après un premier rendez-vous où nous avons marché toute la journée dans Paris alors qu’il avait mal au pied (vous rendez-vous compte ? Il s’est fait mal pour ma pomme car il appréciait ma compagnie), il m’a proposé de venir manger chez lui quelques jours plus tard. Aguichée par l’idée, j’ai accepté.

Ce n’était pas mon premier rendez-vous. Je n’ai jamais eu peur de me rendre chez un mec que je ne connaissais pas. Ça aussi c’était banal finalement. Il a cuisiné. J’étais gênée. On a un peu parlé. Puis il m’a fait venir dans sa chambre pour écouter de vieilles chansons sur une platine vinyle. Il y avait quelque chose de charmant là dedans. Rapidement, il m’a embrassé. Je me suis laissé faire. Je m’y attendais. Il m’a ensuite entraîné plus loin dans le lit. Allongé l’un contre l’autre nous nous embrassions. J’aimais ça. J’aime quand les hommes m’embrassent. Mais après plusieurs déceptions répétées, j’avais envie de prendre mon temps. Je voulais surtout attendre. Je me souvenais des premiers baisers avec mon second copain, le dernier, le vrai. Et j’avais envie de retrouver cela. La passion, l’attente qui fait naître l’amour, la découverte… Alors j’ai dit “arrête”. Il a arrêté. 5 secondes. Le temps de recommencer. J’ai redit “arrête”. Peut-être cinq fois, dix fois, quinze fois. Et chaque fois le même scénario. Il a recommencé. Alors je me suis dit que le problème venait de moi.

“Allez va s’y, détends-toi, laisse-toi aller”, je me suis dis. Je me suis détendue, mais mon esprit pas vraiment. Il m’a souillé, sans me demander mon avis. S’est soulagé en moi. J’ai eu envie de vomir. J’étais mal. J’avais mal au ventre. Et je suis restée prostrée dans son lit toute la nuit. J’avais peur de l’abandon et pourtant, je me sentais déjà abandonnée. Le lendemain matin, rebelote. Cette fois j’ai tenu bon, j’ai réussi à rester ferme jusqu’à ce qu’il s’arrête. J’étais mal, mais il ne comprenait pas pourquoi. Je lui ai expliqué que j’avais le sentiment qu’il ne m’avait pas respectée. “Mais non, toutes les filles disent non au début, mais c’est parce qu’elles osent pas dire oui le premier soir”. Alors voilà, d’après lui, si les filles disent « non » c’est juste pour jouer les filles bien. J’ai insisté. Ça m’avait vraiment blessé ! Il s’est excusé et ça m’a rassuré. Un peu.

Pourtant, toute la journée au travail j’étais pas bien. Je veux dire vraiment pas bien. Ça m’arrive d’avoir le moral dans les chaussettes, mais c’était la première fois que je me demandais si je m’étais faite abuser. J’ai exposé la situation à un ami et à ma colocataire. Ils m’ont confirmé mes doutes mais je continuais à fermer les yeux, à me dire qu’il m’avait juste manqué de respect, mais qu’autrement il était gentil, qu’il avait fauté, mais que ce n’était pas si grave. Mon ami a cessé de me parler quand je lui ai dit que je n’avais pas  l’intention d’arrêter de voir ce fameux type pour autant. On ne s’est pas adressé la parole pendant presque trois mois. Il voulait m’ouvrir les yeux et moi je m’obstinais à les fermer. “Non, les abus sexuels ça arrivent aux autres, pas à moi.”

Pendant trois semaines, j’ai vécu dans le doute, le questionnement, l’angoisse. À ce moment, ma plus grande angoisse n’était pas de m’être fait abuser (c’était passé après tout !), mais de me dire qu’un enfant pouvait naître de cette union que je n’avais pas consenti. Par moment, je voulais immédiatement faire un test de grossesse, ça me brûlait le bide ! Et puis d’autre fois, je me disais que c’était idiot, que c’était une crainte absurde. Je suis allée jusqu’à penser à le garder juste pour lui faire cracher son pognon, pour me venger. Mais non, je ne pouvais pas, je ne pouvais pas avoir un enfant et me dire qu’il n’était pas le fruit d’un amour mais celui d’un rejet. J’étais partagée par des sentiments ambivalents, entre trop plein et trop vide, entre désir d’être aimée et répulsion. On s’est vu quelques autres fois et je lui ai formulé ma crainte d’être enceinte. Il a presque hurlé “je ne veux pas d’un bâtard ! Il est hors de question que j’ai un bâtard”. Cette phrase m’a fait l’effet d’une claque. C’était lui qui avait voulu ce rapport, qui s’était soulagé en moi sans même me poser de question et je devenais la responsable.

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Un mois après, je me posais toujours la question.

J’ai fait le test au bout d’un mois, n’en pouvant plus de m’interroger. Même si mes angoisses s’étaient un peu taries, je voulais en avoir le cœur net. Ce fut un soulagement de voir la barre horizontale. Le lendemain, j’ai mis un terme à ce début de relation qui n’aurait même pas dû commencer ! Cet abus n’aura pas de conséquences concrètes et cela me soulageait. C’était une connerie sans conséquence. La rancune était pourtant toujours là. Deux semaines après, il est revenu me parler et m’a demandé si j’étais okay pour un plan à trois. Ce fût la goutte de trop. Je voulais me venger, ma vengeance était là: dans la vérité ! Je lui ai dit ce que j’avais déjà tenté de lui dire le lendemain de l’accident, c’est alors que je suis devenue la coupable: “Pourquoi tu m’as embrassé ? Pourquoi tu n’es pas partie ? Tu aurais pu me repousser, prendre tes affaires, te barrer ?” Je le dégoûtais. C’est moi qui le dégoûtais et lui donnais envie de vomir ! Ironie du sort…

Pour dire non il faut déjà avoir du courage. Admettre que non, on n’en a pas envie, prendre le risque de décevoir l’autre, de le couper dans son envie. C’est la première fois que j’osais. Il était sur moi, me coupait le souffle, j’ai dit “stop”, plus d’une fois. Avoir recours à la force, à la violence, c’était selon moi juste une façon d’aggraver la situation. Pourquoi je ne me suis pas barrée ? Parce que ça aurait été pire ! Ça aurait été admettre ce qu’il m’avait fait. Et je ne voulais pas. Il est plus facile de rechercher du réconfort auprès de celui qui nous fait du mal, plutôt que de partir pour aller chialer toute seule dans ses draps . On se dit que ce n’est pas grave, que c’est une erreur, qu’il n’a pas voulu, qu’il n’a pas fait exprès. On essaye de tirer un trait le plus rapidement possible, d’oublier…

Les hommes disent qu’ils ne sont pas des violeurs, qu’à eux ça ne leur arriverait pas, mais vous savez quoi ? C’est faux ! Parce que quand j’ai de nouveau essayé de dire non à un garçon, il ne s’est pas arrêté. Pas tant que je n’ai pas réussi à atteindre la corde sensible pour le frustrer dans son envie et le faire s’arrêter enfin. Avant qu’il ne soit trop tard… Situation absurde puisque durant tout le rapport je lui disais que je ne coucherai pas avec lui, que je ne voulais pas coucher avec lui et lui au contraire essayait de me convaincre que si j’en avais envie, qu’il le ressentait. Je n’ai pas oser le repousser franchement parce que je voulais voir jusqu’où il était capable d’aller. Je voulais savoir si les hommes étaient tous les mêmes. Je n’étais pas encore bien sûr que je m’étais faite abusée la dernière fois. Quand il s’est barré, j’ai eu envie de vomir de nouveau. Je me demande aujourd’hui, si je me ferai indéfiniment violer ou si un jour un mec serait assez patient pour attendre. J’ai peur qu’une troisième fois se renouvelle, que je ne sois pas assez forte !

Ce que je constate c’est que les mecs sont focalisés sur leur envie, sur le langage du corps ! Parce qu’un mec, il s’en fout de nos paroles. Oui, j’avais du désir mais non je n’avais pas envie de baiser avec un mec complétement saoul pour qu’il fasse son affaire et se barre, pour qu’il ne me parle plus jusqu’à ce qu’il soit de nouveau dans le mal. Non, BORDEL DE MERDE, ce n’est pas comme ça que je conçois un rapport sexuel. Je ne suis pas une fille qui ouvre les cuisses pour réconforter les autres. Je ne suis pas une fille qui couche uniquement parce qu’elle a des désirs, parce qu’il faut que le corps en est envie mais aussi et surtout la tête ! Mais on s’en fout de mon avis après tout, hein ? C’est une histoire banale qui arrive à d’autres, qui arrive à des mecs sans même qu’ils ne s’en rendent compte.

Le sexe est devenu tellement une affaire banale, qu’on ne se soucie même pas du consentement. “Tu veux ou tu veux pas ? Si tu veux tant mieux, si tu veux pas tant pis !” Poser la question à une femme et vous verrez que sa réponse ne sera pas forcément celle que vous pensiez, mais surtout, surtout, quand une femme dit non, c’est non (ou un homme, c’est la même chose hein), il n’y a pas à tortiller du cul, à essayer de la convaincre par A + B qu’elle dit non mais qu’en vérité elle en a envie. Ce n’est pas parce qu’une fille vient chez vous, qu’elle veut forcément baiser. Ce n’est pas parce qu’elle vous embrasse, qu’elle veut aller plus loin ! Parce que tout ça, c’est peut-être l’histoire de quelques minutes pour vous, mais pour elle ça ira beaucoup plus loin, ça durera beaucoup plus longtemps.

D’abord, il lui faudra intégrer la nouvelle, l’accepter, réussir à en parler plutôt que d’en faire un secret de polichinelle. Vous savez, dire droit dans les yeux à ses amis “je me suis faite abuser” c’est pas quelque chose de facile, ça ne se fait pas comme ça. Souvent, même quand la bombe est lancée, on n’en parle pas. Les autres préfèrent éviter le sujet, c’est plus simple. Ça met mal à l’aise ce genre de chose. Les autres ne savent pas trop comment réagir et elle non plus. Chaque fois qu’elle n’ira pas bien c’est ça qui ressortira.  Elle sera méfiante. Quand un homme la touchera de nouveau, quand elle osera de nouveau se laisser approcher, c’est aussi ça qui resurgira ! Elle aura envie mais ne pourra pas, du moins pas tant qu’elle ne sera pas convaincue qu’il la respecte, qu’elle peut lui faire confiance. Voilà en partie les conséquences que j’ai vécues.

Il m’aura fallu quatre mois et plusieurs tentatives, avant de pouvoir écrire ce texte. Il me faudra certainement encore du temps pour passer au-dessus car oui, subir un abus ce n’est pas anodin. Je n’ai moi-même pas de solution à apporter. Je n’ai pas le mot de la fin.  J’aimerais juste que ce texte soit utile à quelqu’un, être comprise et entendue. Je ne veux pas que le regard des gens sur moi changent mais que leur regard change sur ces situations pour éviter de répéter toujours la même histoire.

Source image : Pinterest

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