Tout juste un mois après la sortie de son nouvel album Echo Zulu, Nosfell est venu nous le présenter sur la scène du Café de la Danse, ce mercredi 15 novembre. Sorte d’oiseau rare, fascinant par ses capacités vocales, je souhaitais pouvoir le contempler de mes propres yeux pour mieux saisir l’étendue de son talent.
Chez certains artistes, écouter leur CD c’est comme admirer l’image d’un paysage sublime sans jamais y aller. Nos cinq sens ont besoin d’être éprouvés pour se rendre compte que ce que nous trouvions sublime est en fait beaucoup plus que cela. C’est précisément ce que j’ai ressenti avec Nosfell ce soir-là.
Discrètement, Nosfell a fendu la foule pour monter sur scène, tandis que le batteur frappait la grosse caisse dans un rythme lent et régulier. Le calme avant la tempête, avant que son corps prenne possession de la scène par une danse, le dévoilant profondément habité par la musique. Il a immédiatement sorti le grand jeu, faisant valser son pied de micro telle une partenaire de tango, tandis que nous le regardions médusés par l’énergie qu’il dégageait, pleine d’audace et de grâce.
Après cette introduction musicale, il a enchaîné rapidement avec Ricochets, seul titre qui mêle à la fois l’anglais et le français, comme pour figurer cet antagonisme qui l’habite. Cet antagonisme, on l’a retrouvé d’un bout à l’autre de son concert, dans sa voix, dans ses textes, dans sa musique. Certainement est-ce le portrait le plus fidèle qu’on puisse faire de l’homme, tiraillé en permanence par des forces contraires, tantôt lumineuses, tantôt obscures.
Le titre qui l’illustrait le mieux est probablement Le corps des Songes. La mélodie transformait le décor, le rendant tantôt inquiétant, tantôt féérique. Nous avancions au fil des notes sans savoir avec exactitude de quel côté nous étions. Le corps des Songes s’apparente à un conte dévoilant différents personnages, le monstre et l’enfant.
Alors qu’auparavant Nosfell s’accompagnait de Pierre Le Bourgeois au violoncelle, il a cette fois-ci choisi une autre formation d’apparence plus classique. Sur scène, ils étaient trois autour de lui : le batteur Emiliano Turi, le saxophoniste Frédéric Gastard et Vincent Brülin au clavier et à la guitare. En créant sa propre langue, le kloklobetz, il s’est entouré d’une aura mystérieuse, mais avec Echo Zulu il prend un nouveau tournant. Son précédent album Amour Massif préfigurait cette transformation en écrivant en français qui vient ici se préciser.
Si Nosfell offre un projet plus accessible, il nous a prouvé ce soir qu’il est tout aussi soigné. Par des rythmes lents et puissants, le batteur apportait une énergie presque animale qui nous plongeait dans une dimension primitive. Les sonorités des instruments étaient souvent lourdes, notamment dues à la présence de la grosse caisse, de sa guitare baryton et de l’incroyable saxophone basse, alors que la voix de Nosfell se faisait claire. Le groove et le rock sont les deux genres qui marquent ces nouveaux morceaux. Sur The Short-timers, les trois musiciens ont hurlé dans la salle dans une énergie sauvage, dévoilant une agressivité qui avait de quoi scotcher ceux assis en gradin. Les mélodies plus légères viennent par petites touches comme pour rehausser l’ensemble. Chaque son est incisif et précis, créant de nombreuses variations pour finalement trouver l’équilibre.
Pendant une heure et demie, Nosfell a pris progressivement des visages différents. Il s’est transformé en Phœnix dans son titre Les Gorges tandis qu’il se perchait sur une jambe tel un flamant rose, il a revêtu la force d’un souverain sur Les Rois, pour finalement suspendre le temps Dans des Chambres Fantômes.
Il a terminé en rappel en guitare-voix avec deux anciens titres dont Mindala Jinka réclamé par l’un de ses fans. Le public conquis a retrouvé avec plaisir ce qui a fait autrefois son succès, avant de plonger en transe sur un dernier morceau joué en formation groupe. En l’espace d’une heure vingt Nosfell a montré l’étendu de son univers, de son talent aussi, ses capacités de performeur, mais également de musicien.
Au milieu des applaudissements, une personne dans le public a lancé un « ça tue mec » et je crois que je ne saurai pas mieux dire en si peu de mot. Nosfell est un roi sur scène, maître de son art comme nul autre et nous a donné l’incroyable sensation d’avoir côtoyé la perfection.