04 – Tu es plus insignifiante qu’une bouteille en verre

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Adorable naïve,

Il faut que je t’avoue quelque chose: tu es plus insignifiante qu’une bouteille en verre. Boire est le geste le plus commun. Des milliers de personnes l’effectuent chaque jour, à chaque instant. Ta meilleure amie pourrait être là en train de boire son verre de coca, que tu t’en foutrais complet. Pourtant quand il s’agit de moi, c’est comme si tu assistais au plus grand tour de magie. Le banal devient séduisant. Tu t’attaches à détailler chacun de mes mouvements. C’est presque indécent la façon dont tu me fixes. « Arrête, tu vas me faire rougir, » te dis-je. Tu glousses plus fort. Dans ta petite caboche, tu te demandes si c’est cette bouteille qui me rend beau ou bien l’inverse. Tu cherches à comprendre, à découvrir mon secret et intérieurement, je m’en amuse.

Je place mon visage entre ombre et lumière et le cache en partie par des lunettes de soleil pour inspirer le mystére. J’ai bien fait de me faire percer l’oreille, ça me donne un côté underground qui va bien avec ma coupe destructurée mais ô combien soignée. On me dit souvent « tu as l’air de tellement t’en foutre que s’en est presque un art chez toi« . Ils n’ont pas tort. Tout est soigneusement calculé. Aucun de mes mouvements n’est dû au hasard, contrairement aux tiens, trop rapides, trop amples. Tu es loin d’être l’élégance incarnée. Je les exagère et me délecte de te voir me dévorer des yeux. Je lis en toi comme dans un livre ouvert. Je sais que tu rêve d’être à la place de cette stupide bouteille. Je te souris et la porte à mes lèvres. Encore.

Pendant que je bois, tu parles, tu parles, à n’en plus finir. Cela semble vital pour toi de meubler la conversation. Tu me saoules et je n’ai pas assez d’alcool dans ma bouteille pour te faire taire. Parfois le silence est appréciable. On ne te l’a jamais appris ? Dommage, j’aurai pu t’accorder l’inestimable plaisir de me toucher si t’avais été moins chiante. Je prefère admirer la rondeur du verre plutôt que ta jolie bouche. Elle est plus sexy. Je tourne l’objet entre mes cinq doigts, comme s’il s’agissait d’un grand cru et savoure chaque gorgée. Je fais rouler le liquide sous ma langue, pour te prouver que je suis une personne de goût. J’exprime tout le dédain que j’éprouve pour toi par de petites moues. C’est drôle car on dirait que ça t’excite. Plus je te fuis, plus tu en redemandes. Je tourne la tête, t’offre à voir mon cou, les courbes de mon menton, mais juste à voir. Cette bouteille que tu aimes tant, permet de maintenir la distance. Si tu as le malheur de t’approcher, elle viendra me protéger. Je suis cruel mais c’est plus fort que moi. J’adore ça. J’éprouve un pré-orgasme de voir dans tes yeux l’étincelle qui danse. Tu m’aimes, tu m’admires. Tu es fragile et faible et je t’ai en mon plein pouvoir. Alors je ris, me moque, me montre une seconde attentif pour adopter une attitude contraire l’instant d’après. Cette seconde d’attention suffit à t’honorer et te flatter. Moins j’en donne, plus tu en réclames.

Je bois, prends le goulot de la bouteille à pleine bouche, comme si j’embrassais, comme si j’avais envie de t’embrasser. Lorsqu’elle quitte mes lévres, je l’admire comme si c’était la plus belle femme. Dans ta petite tête, tu t’en fais un monde. Je suis sûr que t’es déjà en train de t’imaginer dix-milles choses incédantes.Tu m’aimes, tu aimes me voir boire, effectuer la plus banale des actions, parce que mes gestes sont comme une caresse, une provocation. Ne va pas t’illusioner pour autant. Je joue et tu es ma spectatrice. Tu ne passeras jamais de l’autre côté. Toi sur le siège, moi sur la scène. Tes émotions, je les tiens dans le creux de ma paume.

Adorable naïve.

Texte inspirée du clip « la traversée » de Radio Elvis

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