Ce texte à été écrit selon une contrainte de fond donnée par le Méridian (personnage + situation) Proposez vos propres contraintes à l’adresse suivante : deborah-galopin@live.fr ou par commentaire.
Je prends les clés et mon sac à main dans mon casier. Par la porte arrière reservée aux personnels de l’hôtel, je file à l’anglaise. A cette heure, je ne croise jamais personne dans les couloirs. Les spots blancs contrastent avec la nuit dans laquelle je plonge. Il est deux heures passées, les rues sont calmes, pourtant la vie est là, nichée juste en haut de la grande tour du Hyatt. Quelques fenêtres aux lumières éclairées, indiquent que certains clients sont encore éveillés. Cela me rassure de sentir la vie tout près de moi, cela me rassure de me dire que certains seront encore debout quand j’irais rejoindre mon lit. Pourtant, comme à chaque fois, il va falloir affronter les rues sombres. Je me focalise sur l’après, quand j’aurai tourné la clé dans la serrure de mon petit appartement, ce cliquetis qui indique que je serais enfin en sécurité.
Parfois, je regrette de ne plus envoyer de message à mes parents et à ma soeur pour les informer que je suis bien rentrée. J’ai cessé d’abord par oubli, puis par défi et finalement, j’ai complétement cessé. Ils croiront que je ne suis pas guérrie, que la psychose et la peur reviennent. Sauf qu’elle n’a jamais cessé. Elle a toujours été là, silencieuse et perfide, faisant s’accélérer mon rythme cardiaque.
Mes proches m’ont conseillé d’arrêter mon boulot, de m’en trouver un autre, mais je tenais à reprendre mon quotidien. J’aime ce que je fais, accueillir les gens à l’accueil, les mettre à l’aise. J’ai l’impression de pouvoir arborer une autre facette de ma personnalité, que mon entourage ne connaît plus depuis ce fameux soir. Le noir est devenu ma couleur, les percings le symbole de ma force et de ma volonté. Je me cache derrière des artifices pour que personne ne persuave la femme fragile que je suis, prête à se briser en deux au moindre évènement.
Je remonte mon nez dans mon long manteau, à cause du froid mais pas seulement. Par réflexe, je guêtte les bruits du grand boulevard. Le mouvement perpétuel des voitures me rassérène un peu. Mes yeux jettent de brefs coups d’oeil à droite et à gauche, particulièrement attentifs à chaque intersection et porte d’immeuble. J’entends mon souffle, mes pas réguliers sur le trottoir, et ceux d’une autre personne. « Tout va bien Cam’, tout va bien… ». Je tente de me calmer, de réguler ma respiration comme la psychologue me l’a appris. Je jette un coup d’oeil derrière mon épaule. J’évalue la distance… Je n’arrive pas à la voir, elle doit être plus loin que je ne l’avais estimé. Tant mieux. Pourtant elle me suit toujours, je le sens. Mes cicatrices font mal. Instinctivement, je porte une main à mes côtes, comme pour chercher à les faire taire. « Tu dois garder le contrôle Cam’. »Les pas s’accélèrent. Mes muscles se tendent. L’adrénaline se diffuse dans mon corps. Il court. Je me retourne. Sa proximité m’effraie et me fait m’arrêter net. Son visage. Peut-être le sien… Il pose sa main sur mon épaule. C’est le déclencheur, celui qui me fait prendre la fuite.
– Mademoiselle ? Votre écharpe est tombée.
Je ne m’arrête pas. Je cours et pleure en même temps, un cri enfouit dans ma gorge. Ce cri de révolte contre cet inconnu qui a remplacé ma joie, par la peur de vivre.