Je suis allée voir « Le coeur régulier » avec un engouement non feint, je suis ressortie sans savoir quoi en penser… Ma démarche n’était pas complètement désintéressée quand je me suis blottie dans le siège rouge du cinéma, impatiente de retrouver Niels Schneider à l’écran. Je l’ai découvert dans « les amours imaginaires » de Xavier Dolan. Son jeu d’acteur m’avait ébloui tant il dégage quelque chose d’intense et d’extrêmement vivant. Depuis j’ai englouti toute sa filmographie et il n’était pas pensable de manquer ce nouveau film dans lequel il joue.
La bande d’annonce promettait un film plutôt lent et introspectif, pas vraiment grand public. Sans aucun doute, il ne saurait être apprécié par tout le monde, mais cela tombe bien, car c’est précisément le genre de cinéma dont je suis friande. Vanja D’Alcantara réalisatrice de « je vais bien ne t’en fais pas » en adaptant le livre d’Oliver Adam a poussé les choses presque à son paroxysme.
Le début du film dépeint le portrait d’une famille moderne bien rangée. Belle maison, mari, deux adolescents enfermés dans leur monde, casque sur les oreilles et téléphone dans les mains. Le seul moment où ils sont réunis tous les quatre, c’est dans une voiture avec une musique en rentrant des cours. En fond sonore une musique au volume sonore important, le père et la fille la fredonnent chacun le regard rivé dans une autre direction. Malgré les belles apparences, les membres de cette famille sont déconnectés et vivent dans leur propre bulle. Alice (Isabelle Carré) ne semble pas en accord avec cette vie là. Elle a beau être aux côtés de son mari à une soirée, elle est en retrait et préfère rentrer. Il y a une sorte de malaise qu’on éprouve à travers les cadrages et les silences.
« T’es où Alice putain ? Elle est où ma soeur, mon Alice ? »
Quand son frère Nathan (Niels Schneider) arrive à l’improviste après un séjour en Asie, la vie semble du même coup jaillir. C’est un personnage vivant incroyablement encré dans le présent. Il le dit lui-même, il sait qui il est et c’est probablement ce qui fait toute la différence. C’est la première scène de joie au quelle on assiste. Nathan et Alice se retrouvent, échangent quelques mots, renouent l’un avec l’autre. On ressent une complexité dans la relation entre lui et son mari et une fusion entre les deux frère et soeur. Alice n’hésite pas à s’enfuir avec lui en moto comme pour se couper de tout ce qui la pèse, retrouvant du même coup sa liberté et sa joie de vivre. Peu importe qu’il pleuve du moment qu’ils sont ensemble. Cependant, ce court instant de bonheur va s’effondrer dès lors qu’elle apprend que son frère a eu un accident de moto. Tout semble s’ébranler. Elle va entreprendre un voyage en Asie sur les traces de son frère qui va se transformer en voyage intérieur. On ne sait pas ce qu’il advient de ses enfants, ni de son mari, comme si la seule personne qui importait vraiment était Nathan. Maintenant qu’il a disparu, elle se retrouve seule.
Les silences sont nombreux et se font longs et pesants, façonnés par le lieu lui-même. Le paysage met en lumière la beauté d’une nature chaotique et grandiose dans laquelle les hommes du monde entier viennent y mourir. Y mourir ou pour ceux qui ont la chance de croiser la route de Daïsuke, se reposer avant de reprendre leur route. La musique laisse place au bruit du ressac et toutes les futilités de l’existence disparaissent soudainement.
Les relations qu’Alice va nouer avec les quelques rares personnages qu’elle va rencontrer, vont se tisser dans l’aspect visuel et tactile. Ils ne partagent rien à part leur propre souffrance, ne laissant que peu de place au dialogue. Ils ne savent presque rien les uns des autres, si ce n’est qu’ils portent tous la mort dans l’âme. Les gestes de tendresse sont finalement ceux qui émeuvent le plus, tant ils semblent privilégiés et uniques.
« Il n’y a pas de sens, il n’y a que la vie. Inspirer et expirer, c’est tout. »
Tout dans ce film semble relever du paradoxe, à l’image de la vie elle-même. L’absence du personnage de Nathan plane et pourtant, il demeure incroyablement présent. Le film se termine presque comme il a commencé avec un plan sur le visage de Alice. Elle n’a pas retrouvé son frère mais est parvenue à se trouver elle, en paix avec elle-même. Un objectif qui semble insignifiant mais en réalité fastidieux et difficile à atteindre.
Le génie du « cœur régulier » c’est cette force de suggérer, de plonger le spectateur dans un voyage avec lui-même durant lequel il se questionne. On s’émeut des plus petites choses de la vie qui soudainement deviennent superbes. « Le cœur régulier » n’a beau durer qu’une heure trente, il n’est pas facile à avaler, mais mérite qu’on s’y plonge pour retrouver un peu d’humilité.