Dimanche après-midi, j’ai retrouvé Popper Must (Be) pour une interview. La première fois que j’ai écouté leur titre Suzie, j’avais été impressionnée par la douceur de la voix et des instruments, j’ai donc voulu en savoir un peu plus sur leur univers.
Laurent (à gauche de la photo), le chanteur du groupe, est arrivé guitare sur le dos et chapeau noir sur la tête, accessoire qu’il porte comme marque de fabrique. Alors que nous nous sommes abrités au café Le Bastille, Trai (à droite de la photo), multi-instrumentiste, nous a rejoints. Le troisième membre du groupe, Arnaud (au milieu de la photo), était quant à lui absent, mais Trai n’a pas manqué de préciser à la fin de l’interview « Arnaud est d’accord avec tout ce qu’on a dit ! »
Vous pouvez me raconter l’histoire de votre groupe ? Comment a-t-elle commencé ?
Laurent : Quand j’ai démarré Popper Must (Be), j’étais seul en guitare-voix — je suis batteur à la base. Le style était davantage folk qu’aujourd’hui, mais rapidement, j’ai eu envie de dépasser ce format et de travailler avec d’autres gens. Avec Trai, on se connaît depuis très longtemps : quinze ans exactement. Cela faisait déjà un petit moment qu’on avait envie de faire de la musique ensemble.
Trai : Avant j’étais bassiste dans le groupe AtOmsk et bassiste de session pour Popper Must (Be). Je ne participais pas au processus créatif, donc je ne me sentais pas spécialement investi. À la fin d’AtOmsk, on s’est naturellement retrouvés à faire de la scène ensemble avec Laurent. Puis on a rencontré Arnaud en 2014 ; on cherchait quelqu’un d’autre pour diversifier le projet. C’est à ce moment-là qu’on est devenu un vrai groupe.
Votre nom de groupe est assez mystérieux, pourriez-vous me l’expliquer ?
Laurent : Quand je cherchais un nom, je suis tombé sur le bouquin « Poppermost : considérations sur la mort de Paul Mcartney » de Pacôme Thiellement et j’en suis tombé amoureux. C’est en quelque sorte une dérive philosophique qui part des Beatles et aborde différents thèmes.
Le nom de Popper Must (Be) est un néologisme provenant de ce mot : Poppermost. Quand Lenon et son groupe jouaient plus de 5 ou 6 heures par jour et qu’ils n’en pouvaient plus, ils avaient un cri de guerre :
« Where are we goin fellas ?
—To the Top Johnny !
—And where’s that fellas ?
—To the Toppermost of the Poppermost ! »
J’ai transformé le « most » par « must » et mis le « be » entre parenthèses.
Trai : Les parenthèses correspondent au caractère inconstant et facultatif de l’être. Les parenthèses autour de l’être le mettent également en avant, d’où la nécessité de vivre. C’est à la fois nos interrogations et nos combats.
Vous avez sorti deux EP, l’un en 2014 et le second cette année. Qu’est-ce qui a changé entre-temps ?
Trai : Outre la composition du groupe, ce qui a vraiment changé c’est le processus créatif. La production de l’EP a été entièrement fait à la maison sans l’aide de quiconque pour l’enregistrement. On a juste eu recours à un tiers pour le master. Autrement, j’ai réalisé le clip, le mixage et la pochette. C’était un pur challenge. On avait envie de se diversifier artistiquement et de tout maîtriser aussi. Et comme Laurent s’accompagnait de deux nouvelles personnes, ça a permis un gain d’autonomie.
Laurent : D’un point de vue musical aussi les choses ont changé. On a eu envie de faire quelque chose de nouveau. Trai est machiniste, ce qui nous a permis de mélanger des genres comme l’électro et le folk. On a conçu l’album de sorte que chaque chanson soit un tableau.
Trai : Même si j’aimais beaucoup le premier EP, il manquait un petit truc au niveau rythmique. Il fallait que ce soit plus énergique pour s’éloigner de l’acoustique. Avec Popper Must (Be) on a eu envie d’ouvrir les possibilités. De faire quelque chose qui soit à la fois brut et intimiste.
Sur votre nouvel EP, deux de vos titres sont intitulés Suzie. Qui est-elle ? Qu’est-ce qu’elle représente ?
Laurent : Suzie est un morceau assez représentatif de notre musique, car il y a un contraste assez fort entre Suzie Part 1 et Suzie Part 2. C’est la métaphore d’une sorte d’innocence qui se bat contre ses propres démons intérieurs.
Trai : La première partie représente la personne qui est passive, celle qui se laisse aller à ses soucis, jusqu’au moment où elle a le déclic. Elle se dit « je vais me battre » et décide de sacrifier quelque chose. Comme aux échecs ; tu es obligé de te faire manger une pièce pour pouvoir avancer. Suzie, c’est un personnage qui ne se contente pas d’être triste, mais qui va de l’avant.
À l’origine, il s’agit d’un même morceau, mais pour des raisons pratiques nous l’avons découpé. On souhaitait en faire un format plus standard pour la réalisation du clip. Lorsqu’on l’a réalisé, on avait tous une vision différente, mais on s’est mis d’accord sur le fait de lui bander les yeux, car c’est assez significatif de l’image de rester enfermé dans son malheur, jusqu’au moment où elle décide de retirer son bandeau. C’est une révélation intérieure ; elle va chercher la lumière en elle et chez les autres. Elle fait le choix de vivre plutôt que de se laisser vivre.
Vous la comparez à la Suzanne de Léonard Cohen, fait-il partie de vos sources d’inspiration ?
Laurent : Oui. Peut-être Arnaud aussi. Au-delà de l’aspect musical, il y a quelque chose dans le côté symbolique et quant au choix du nom. Dans Suzie, il y a un esprit assez similaire aux deux albums d’Arcade Fire. Le groupe s’est fondé par rapport aux décès de leurs proches. Ce que j’appréciais dans leurs premiers albums, c’était la force de vivre qui s’en dégageait. L’idée du dépassement, c’est ce qu’on avait envie de partager.
Vous êtes autoproduits. Comment ça se passe quand on se lance seuls dans un tel projet ?
Trai : Tu manges que des pâtes pendant 3 mois (rire). Plus sérieusement, c’est excitant. Tu es libre, tu fais ce que tu veux. Comme tu n’as pas de contraintes, tu doutes beaucoup, mais finalement pas longtemps. Avec le second EP, on s’est vraiment lancés en terrain inconnu. La chance qu’on a, c’est qu’on est à une ère où on peut tout faire par soi-même, mais ça suppose de pas mal s’autoformer. Par exemple, je n’avais jamais fait de mixage avant, j’ai donc absorbé les connaissances des autres en les regardant faire. Mais quand tu écoutes ton EP et que t’as le petit frisson, tu te dis, « c’est bon ».
Laurent : Je savais que j’étais entouré de deux personnes hyper douées à côté de moi, ce qui aide à avoir confiance. Le plus compliqué, c’est la communication, car c’est quelque chose qui se fait à plein temps, temps qu’on n’a pas forcément. Mais finalement, c’est ce que traversent la plupart des groupes, même du côté des gros labels. Ils donnent un budget et après te disent : « débrouillez-vous ». Aujourd’hui, on doit être capable de tout faire.
La liberté, c’est quelque chose d’important pour vous ?
Laurent : Ce mot me dérange un peu, car je trouve qu’on l’utilise pour tout et n’importe quoi. Albert Camus disait : « On est libre de. Être libre, je ne sais pas ce que c’est. » Je préfère dire aux gens : « Va te faire vivre ! »
Trai : Le fait qu’on ne nous impose rien en termes de thématique et de délais, c’est un luxe et en même temps quand on t’impose des règles du jeu ça peut être intéressant, mais ponctuellement. Même si tu te poses moins de questions, cela relève plus de l’ordre de l’exercice, ce qui moins pertinent dans un cadre comme Popper Must (Be).
Laurent, je sais que tu aimes aller à la rencontre des gens. Est-ce que ce projet te permet ça ?
Laurent : Même si la musique permet un point d’accroche, pour moi ce sont deux choses différentes. Le fait d’aller à la rencontre des autres est une démarche plus personnelle, ce qui n’est pas mon but premier quand je fais de la musique. Au moment où j’ai commencé à aller à Shakespeare and Co et à jouer là-bas, je voulais juste partager quelque chose sans attente particulière. J’y ai fait des rencontres extraordinaires et c’est là que je me suis rendu compte à quel point les gens peuvent apporter aux autres. Ça m’a permis d’apprendre et de vivre des choses incroyables. Brel disait « La bêtise, c’est quelqu’un qui vit et qui se dit “ça me suffit”. » Ce qui m’intéresse, c’est de vivre des aventures.
Qu’est-ce que vous voudriez transmettre ?
Laurent : Je crois beaucoup en l’idée de transmission, de transmettre un flambeau. Il y a un tas de gens dont j’ai écouté la musique et qui m’ont donné envie d’en faire un métier.
Trai : Dans transmission, il y a le mot « transe ». La scène, c’est justement le seul moment où tu vas pouvoir te mettre en transe avec ta propre musique et la partager.
Laurent : Quand on a joué dans le cadre du Doors Tribute au Supersonic, c’était exactement ce qui s’est passé, et c’est d’autant plus puissant quand c’est communicatif. Même en tant que spectateur tu le ressens.
Les deux fois où je suis allé voir Arcade Fire à Rock en Seine, j’avais la sensation que le groupe partait en transe. Ils ne faisaient pas que jouer, on sentait qu’ils le vivaient complètement et cette force englobait le public. Allen Ginsberg a cette parole que je trouve très représentative :
« La poésie, ce sont des mots qui vous font dresser les poils sur tout le corps, que l’on reconnaît instantanément comme une forme de vérité subjective qui a une réalité objective puisque quelqu’un l’a réalisée. »
Ce qu’il dit est aussi valable pour la musique : la musique des autres est capable de t’appartenir, car les musiciens y mettent une telle intensité… Je crois que c’est ça qui compte vraiment dans l’idée de transmission. Et si tu as ne serait-ce qu’une personne qui te dit « merci, ça m’a apporté » alors c’est que tu as réussi.
Quels sont vos objectifs ?
Laurent : Actuellement, on travaille sur le prochain album. On a envie d’aller plus loin encore.
Trai : De la scène, de la scène, de la scène ! On a une date prévue le 25 octobre au Pizzo (Paris, 11e). Et que ça continue…