Eddy de Pretto est un artiste que j’ai découvert aux Trois Baudets. J’avais eu un coup de cœur pour cet artiste par sa prestance sur scène, sa capacité d’interprétation, de captiver le public et de le toucher à travers ses textes. Il incarne à la fois quelque chose de nouveau et d’ancien. À l’époque, il n’avait pas encore sorti son EP “Normal”. Depuis, on peut dire qu’il a fait un sacré bout de chemin. S’en doutait-il qu’il serait là maintenant, jouant à guichets fermés sur la scène de la Cigale et même de l’Olympia ? Probablement pas. C’est toujours un rêve qu’on caresse du bout des doigts que d’être connu/reconnu, mais le concrétiser est bien différent.
Il y a deux ans, je l’ai interviewé dans le cadre d’un portrait pour le premier numéro du Mook Hexagone. Ce fut un moment passionnant durant lequel j’avais également été frustrée du format de l’article, trop court pour relater tout ce dont nous avions parlé. Je sors aujourd’hui cette interview de mes archives. Ses propos ont probablement été recueillis par moult journaux depuis, mais c’est la simplicité et la profondeur d’Eddy de Pretto que je voulais retranscrire, ici.
Commençons par le commencement : dans quel contexte as-tu grandi ?
J’ai grandi en banlieue parisienne dans le 94 à Créteil, avec les gens en bas de chez moi. En Banlieue, on se sent proche de quelque chose d’énorme, mais comme si le pont n’était pas faisable tout seul. Il faut aller chercher les relations, être curieux, aller à la découverte d’une ville aussi importante et diverse que Paris. On se sent finalement un peu frustré d’être aux alentours et ne pas pouvoir y participer pleinement.
Après mon Bac, je suis allé à Paris. J’ai intégré une école de comédie musicale. J’ai fait toute ma scolarité sur Créteil, mais j’avais des liens avec des gens de tous bords. Progressivement, mon entourage était de plus en plus centré sur Paris, ce qui m’a permis de rencontrer de nouvelles personnes.
C’est un univers spécifique que la comédie musicale, qu’est-ce qui t’a amené dans cette voie ?
Depuis tout petit, j’ai toujours voulu chanter, faire de la musique. J’avais toujours cette curiosité et cet attrait de dire les mots, à vouloir les scander, dire ce que j’ai dans les tripes et pouvoir les mettre en valeur sur une scène. J’aimais être en lumière, créer des spectacles quand j’étais petit. Je le faisais avec ma voisine et c’était assez naturel que de créer et de mettre en scène. Ça m’a toujours plu de me raconter des histoires.
J’ai commencé par le théâtre avant de m’intéresser à la musique. Ma mère m’a mis dans une MJC (maison de la jeunesse et de la culture) dans une section théâtre. J’ai commencé à 7-8 ans. Les cours avaient lieu tous les lundis soir avec une certaine Marie. C’était le bol d’air frais de la semaine. Parfois, je traînais dehors avec des copains à faire un peu n’importe quoi. Plus les spectacles passaient, plus j’avais des compliments de personnes tierces. « Ah ! Il est très bon votre fils ». Ça suscitait quelque chose en moi.
Le théâtre, c’était une façon pour moi de me dévoiler, c’est le moment durant lequel je pouvais être moi-même. Je suis un faux-timide. Je suis une personne qui paraît assez fermée au premier abord, qui ne laisse pas la porte ouverte à tout le monde, mais une fois qu’il y a une acceptation des deux sens, sans être extraverti pour autant, je suis loin d’être introverti. Je pense que le théâtre m’a permis de m’ouvrir dans ces liens, d’être hyper à l’aise socialement et pouvoir jouer de ce que je suis, de mes qualités et de mes défauts.
La musique, a-t-elle toujours été présente durant ton adolescence ?
Oui, il y avait toujours de la musique à la maison. Je me souviens, ma mère écoutait en boucle Barbara. Je rentrais, on ne s’entendait plus, c’était Barbara qui prenait toute la place. Mes parents ne sont pas musiciens, je n’ai pas grandi entouré d’instruments de musique, mais de grandes figures qui m’ont susurrées à l’oreille : « on dit ce qu’on a au plus profond de notre cœur, on les chante et dit ce qu’on est, on raconte nos histoires », ça m’a beaucoup bercé. Les premiers mois, je disais à ma mère : « Putain, tu me saoules avec ta Barbara, c’est de la merde, elle est dépressive. » Quand t’as 10 ans, ce n’est pas quelque chose d’évident, mais c’est quelque chose que tu apprends à aimer, qui vient te toucher, te chercher. La première fois, tu n’écoutes pas, la seconde non plus et à la cinquième, tu y prêtes une oreille. C’est comme une comptine, tu ne l’as pas choisie et pourtant à force de l’entendre, c’est ça qui te berce et qui t’aide à t’endormir la huitième nuit.
J’étais dans ma période R’N’B comme tout le monde à cet âge, donc forcément ça me paraissait rétro. Plus je grandis, plus je me dis que ça a eu un réel impact.
Cela a créé un déclic, tu crois ?
Ce n’est pas en écoutant un album ou en regardant quelque chose que j’ai eu le déclic. Je ne me suis pas dit subitement: « putain, c’est ça que je veux faire. » C’est plus quelque chose d’inné, comme lorsque tu sais ta sexualité depuis le départ. Ça s’est développé assez naturellement. Quand j’avais l’âge pour savoir le faire et comment le faire, je l’ai fait.
S’il y a eu un élément déclencheur, c’est peut-être l’éveil musical que j’ai fait à 4 ans. C’est un peu mon premier souvenir d’enfance. On était tous des morveux à taper sur des instruments. C’était n’importe quoi. Il y avait un panier et on devait choisir nos instruments, il y avait des claves, des tambourins, des xylophones et on devait faire de la musique avec ce qu’on trouvait. Je suis sûr que c’était de la grande symphonie, mais ça, je ne m’en rappelle pas… (rire)
Quand l’aventure a-t-elle commencée pour toi en tant que chanteur-compositeur-interprète ?
J’ai commencé à créer de la musique quand j’étais en école de comédie musicale. C’est à ce moment-là que j’ai créé mon projet qui est Eddy de Pretto.
Je ne pense pas que mes études m’ont apporté ce truc-là, c’était très axé « chant/danse/théâtre » on apprenait les matières à la base, les premiers pas dans le hip-hop dans la musique classique. Mais plus je développais mon projet, plus cela me donnait envie de le faire connaître au plus grand nombre. Je commence tout juste à rencontrer des personnes professionnelles pour développer mon projet et j’espère aller encore plus loin.
Ton tout premier EP s’appelait « Vague à l’âme » qui n’est désormais plus en vente. Peux-tu nous en parler ?
« Vague à l’âme » était une première maquette de trois chansons que j’ai composées en 2013. Je faisais déjà quelques concerts, mais il me fallait quelque chose d’autre pour me présenter.
« Rue de Moscou » est issue de cette maquette, même si elle a été modifiée entre temps.
Tu as sorti ton EP en auto-production, comment ça s’est passé ?
J’ai eu la chance d’être bien entouré. L’individualité prône un peu tout maintenant, on nous apprend à tout faire de nos propres mains. Il y a toujours l’idée de « Prendre en photo SA tour Eiffel. » « Je suis seul et je suis heureux », c’est un peu ce qu’on nous fait croire à l’heure des nouvelles technologies. Alors j’avais envie de pouvoir le faire, je voulais apprendre à le faire par moi-même.
Je me suis auto-produit grâce à un kisskissbankbank. Ça a très bien fonctionné. J’ai recueilli le budget nécessaire pour payer le studio, l’enregistrement, les clips et la communication.
Je me suis porté vers ce choix, car je ne savais pas qu’il y avait des gens qui pouvaient me donner de l’argent pour créer, je n’étais pas assez sûr de moi et je n’avais pas assez de choses à présenter. Il y avait plein de choses qui n’étaient pas encore arrivées. Je suis très content d’avoir fait ce chemin seul. J’ai pu assister et développer ce projet avec les personnes que j’ai choisies avec une réelle direction. C’est un puzzle très fin à faire.
Aujourd’hui, si les choses avancent pour moi, je sais exactement ce que je veux. Je sais comment il faut travailler. Je suis aussi très ouvert aux propositions, mais je peux toucher à tout. Je sais me défendre sur ces projets-là.
Comment se passe la phase d’écriture ?
J’ai commencé à écrire très tard. J’ai été aidé par Martin Dust qui est un auteur. Au début, il écrivait mes textes. Il m’a aidé à appréhender un cahier, car c’était une grosse crainte et ça l’est toujours d’ailleurs ; se retrouver seul face à soi-même et à des pages blanches. Tu dois trouver l’inspiration pour qu’elle se complète. Grâce à lui, j’ai pu me familiariser avec ça.
Ça m’a permis de développer mon écriture personnelle. Je travaille beaucoup mes textes, car je suis un éternel insatisfait.
Ce n’est pas quelque chose que j’avais instinctivement en moi, j’avais même tendance à me dire que je n’étais pas assez bon. Je me remettais énormément en question mais j’avais vraiment envie que ces mots viennent de moi. Je me disais que ce serait encore plus percutant si c’est quelque chose qui venait de mes tripes. C’est à ce moment que je me suis dit « tu te mets devant ce cahier et il faut que tu travailles ». C’est encore un travail grandissant.
Comment s’est passé ta collaboration avec Martin Dust ?
J’ai rencontré Martin Dust quand j’avais 17 ans. On s’est rencontré à la terrasse d’un bar parisien et je lui ai raconté toute ma vie. À cette époque, j’étais très troublé par une histoire d’amour. C’était un peu le sens de ma vie à ce moment. Ensuite, on s’est revus, il m’a proposé un texte. C’était « Les Boulevards de LA », une chanson qui n’est plus d’actualité. On a continué à travailler. Il avait le souci des mots justes, il racontait beaucoup de détails et allait creuser dans pas mal de choses. Une chanson pouvait être très précise, il pouvait utiliser les mêmes mots, mais avec beaucoup de sens différents.
Dans quel contexte te mets-tu ? Qu’est-ce qui te donne l’idée d’un texte ?
Ce qui me manque aujourd’hui, c’est une méthode. Je suis un peu comme un enfant bordélique qui ne rangerait jamais sa chambre. Tout d’un coup, il faudrait qu’il se mette à tout ranger. Je n’arrive pas à rentrer dans quelque chose qui est automatique. Je peux passer des heures devant mon cahier sans que rien ne vienne. C’est horrible. HORRIBLE ! Avec le téléphone c’est encore pire aujourd’hui.
C’est très dur de se mettre dans sa bulle, car on est constamment happé par des choses extérieures, il y a des millions d’informations qui viennent te chercher, des gens qui t’appellent, on est tout le temps sollicité. Même chez soi, il y a plein de choses qui clignotent donc j’essaye de sortir du cadre et d’aller dans un bar, de trouver un endroit qui m’est familier. Là, en ce moment, j’ai envie d’aller dans un cimetière.
Aujourd’hui, ça sort trop de manière brute et impromptue, genre « Olalah, il est 6h du matin, j’ai une vague ! » Je n’essaye pas de régler quelque chose, mais j’essaye de me connaître un peu plus pour sortir des choses de façon plus régulières.
J’ai souvent des sujets que j’aimerais aborder. Aujourd’hui, j’ai la masturbation et le fait du genre. J’ai de gros thèmes qui m’apparaissent. J’essaye de les aborder d’une façon que moi-même, je sois surpris. J’ai envie de trouver un angle qui pourrait éveiller ma surprise.
Parfois, c’est le texte qui vient d’abord, puis d’autre fois, c’est la musique. C’est assez aléatoire.
Tu écris beaucoup sur des faits de société, as-tu un sentiment d’appartenance à celle-ci ou pas du tout ?
Je pense que je suis complétement dans la société actuelle, mais avec un regard très critique et des avis parfois trop pessimiste. Je me sens complétement victime de tous les réseaux et encore plus en tant qu’artiste puisque je dois me développer à travers eux.
Quand j’écris sur la société, c’est soit par rapport à des situations dans lesquelles je n’arrive pas à rentrer et je suis jaloux, soit ce sont des situations dans lesquelles je suis et qui me révolte.
Par exemple, dans Jungle de la Chope, je parle des réseaux de rencontres. Quand tu te retrouves là-dessus, c’est plus pour baiser un bon coup que pour rencontrer une histoire, ça me frustre beaucoup. On me promet quelque chose qui n’arrive pas. Rien n’a été intéressant pour moi de ce côté-là. J’en voulais peut-être un peu à cette application.
Penses-tu qu’un artiste doit avoir un rôle par rapport à la société dans laquelle il vit ?
Olalalah ! En tout cas, ce n’est pas ce que je me dis quand j’écris. J’ai juste envie que des gens se retrouvent dans mes textes et se disent : « Ouais grave, c’est ça que je ressens ». C’est un partage. Dans ce cas, je me dis que mes textes ont atteint leur but. Mais la société… Je ne sais pas trop ce que c’est, c’est trop énorme.
Je pense que la musique a un rôle pour chaque individu, ça le fait évoluer, passer de bons moments et peut même l’aider à traverser des périodes noires. Je pense que c’est d’abord quelque chose d’individuel et quand ça rejoint beaucoup de monde, c’est à ce moment que cela touche la société. Je pense à Stromae qui a fait une chanson fédératrice. Le fait d’avoir un impact sur la société créé des tendances. Cela ancre une année, ça fige quelque chose, un style, une génération.
Quand es-tu monté sur scène pour la première fois ?
J’ai fait plein de scènes depuis mes 17/18 ans, des comédies musicales. Je suis souvent très frustré du cinéma, car tu figes quelque chose, tu verras toujours la même chose. Alors que dans le spectacle vivant, tous les soirs sont remis à l’improvisation, à tout ce que tu ressens à cet instant.
Quel est ton rapport à la scène en tant que chanteur-interprète ?
La scène, c’est quelque chose de sacré. Il faut se préparer avant d’entrer pour pouvoir se mettre dans la scène. C’est le moment où on brille, où on investit tout notre corps, tous les mots qu’on a envie de dire. L’endroit où on peut être ce qu’on est. L’endroit où tu peux te sentir hyper libre et où tu peux proposer ce que tu as envie de dire ce que tu ne pourrais pas faire dans un autre contexte?
J’aime me mettre dans ma bulle, pouvoir me mettre en condition pour entrer sur la scène. C’est pourquoi, je trouve que c’est plus difficile à gérer dans des petites salles qui n’ont pas de loges. J’essaye de m’apaiser et n’aime pas voir tout le monde avant. Je me centre pour aller chercher la totale confiance en moi que je n’ai pas dans la vie. Je revêts un masque “tu seras confiant ce soir”. C’est très difficile.
Cela arrive que ce ne soit pas le bon soir et il faut essayer de gérer ça. Il faut aller chercher les choses, car elle ne transpire pas dans tes veines, chercher le sens des mots, ton humeur en fonction de ce que tu veux raconter. Quand il n’y a pas la magie, j’ai l’impression de fabriquer et j’ai horreur de ça. Pour moi, c’est le pire que je peux proposer au public.
L’interprétation est un art à part entière de la scène, ce n’est pas quelque chose que l’on peut troquer ou diviser. J’ai envie de dire un mot parce qu’il a un sens réel. Si je ne joue pas (il fait également du piano) en même temps, c’est pour ne pas diviser mon attention sur autre chose que l’interprétation. C’est très important de rester focaliser sur les mots et ce que j’ai à dire.
Il est amusant de lire la modestie dont il a fait preuve au cours de cette interview mais aussi sa détermination à parler de son projet et de ce qui le touche. On peut dire qu’il a réussi ! Nous sommes désormais nombreux à penser “Ouais grave, c’est ça que je ressens”. Marquera-t-il sa génération ? Il nous faudra probablement un peu plus de recul pour le savoir, mais je ne doute pas qu’il est bien parti pour !
Il est actuellement en tournée et fera son premier Olympia le 6 novembre de cette année.