[INTERVIEW] Cammiyu, une tatoueuse empathique qui se confie sur son expérience :

cammiyu par Marion Tremblett

Crédit photo : Marion Tremblett

Cammiyu est une artiste que j’ai rencontrée il y a quelques années déjà. À l’époque, nous étions toutes deux étudiantes, Cammiyu dessinait sur des feuilles de papier et souhaitait devenir tatoueuse. Objectif qu’elle a réalisé grâce à son maître d’apprentissage Rude Eye du shop Wallifornia à La Louvière (Belgique). Elle s’est rapidement fait une réputation dans le milieu grâce à son style de dessin très personnel, reflétant l’âme d’enfant qu’elle n’a jamais perdue. Cela fait aujourd’hui plus de 3 ans qu’elle a entamé sa carrière. Nous nous sommes retrouvées pour retracer ensemble son parcours :

Après ton bac, tu as fait les beaux-arts. Qu’est-ce que cette expérience t’as apportée ?

Cammiyu : Les beaux-arts m’ont surtout appris ce que je ne voulais pas faire  ! J’ai été extrêmement déçue par l’enseignement divulgué par les professeurs et le système en général. Tous n’étaient pas mauvais, mais je suis quelqu’un de timide et pas forcément à l’aise avec l’oratoire. On ne m’a pas « coachée » pour donner le meilleur de moi-même, alors que dans la même période je me suis fait tatouer pour la première fois par Gorbalex, et nous sommes devenus amis. J’allais régulièrement au shop lui demander conseil sur des dessins que je ne montrais pas aux beaux-arts, car on m’a jugée et dénigrée sur un travail qui était trop figuratif, jusqu’à me dire que je dessinais mal. J’avais le contraste du « tu n’es rien » versus « tu peux arriver à en tirer quelque chose de bien ».

À partir de quand tu t’es dit « je veux tatouer des gens » ? 

Cammiyu : Enfant à la garderie, je dessinais au feutre indélébile sur les bras des autres enfants. Le problème, c’est que plus j’en faisais et plus cela ressemblait à des manchettes. Le soir, les parents n’arrivaient pas à enlever l’encre sur les bras de leurs gamins. On m’a rapidement rappelée à l’ordre ! Ensuite, je ne m’y suis pas intéressée avant mes 18 ans.

Lorsque Maman s’est fait tatouer un tatouage que je trouvais plutôt médiocre, j’ai commencé à me renseigner. Comme je n’y connaissais rien, mais que je dessinais, je voulais savoir si c’était moi qui le trouvais juste quelconque ou bien s’il pouvait quand même être magnifié. C’est comme ça que j’ai poussé pour la première fois la porte des boutiques de tatouage à Toulouse (chez Eskimo et chez Henrik). J’étais stupéfaite par leur travail. Je ne me suis pas dit à ce moment que je voulais tatouer, mais plutôt « est-ce que moi aussi je pourrais dessiner aussi bien ? »

Je me suis inscrite sur un forum pour demander des avis, dans l’optique de peut-être pouvoir me lancer un jour. Puis je me suis fait tatouer par Gorbalex.

chat cammiyu

Avant de te lancer dans le tatouage, tu faisais déjà des bouis-bouis, sorte de dessins hyper mignons, mais tu faisais aussi d’autres créations inspirées de Mucha, peintre spécialisé dans l’Art nouveau. Comment ton univers de tatoueuse s’est-il mis en place ?

Cammiyu : Étant donné que la peau est un nouveau support, tout n’est pas permis tant que les tracés ne sont pas impeccables. Il a fallu encaisser l’écart de niveau du début où tu passes du dessin Art nouveau surchargé de détails à un dessin simple et lisible sur peau. J’aurais désormais envie de faire plus de pièces Art nouveau, mais pour démarrer c’était techniquement suicidaire.

J’ai donc proposé des bouibouis, j’ignorais que ça allait autant plaire. Les clientes les plus demandeuses de ce type de dessin sont les mamans qui n’ont pas forcément envie de se faire tatouer le prénom de leur enfant, le dessin est plus parlant et personnel. Et puis tout s’est mis en place assez rapidement donc je n’ai pas vraiment réfléchi.

Au début de mon apprentissage, j’ai vécu sur mes économies donc je faisais des pièces petites et mignonnes, ce que j’aime toujours faire. Maintenant que j’ai davantage d’expérience, je vais pouvoir proposer des pièces plus imposantes qui relient l’univers que je proposais avant en tant qu’illustratrice, mais que j’étais parfaitement incapable de tatouer, car trop complexes.

Pourquoi le choix du Cartoon ? Qu’est-ce que cela représente pour toi ? 

Cammiyu : C’est frais et coloré, j’aime beaucoup la couleur  et le cartoon est un univers tellement gai !

On est de plus en plus de filles à proposer des motifs ciblés sur la pop culture de nanas, qui n’étaient pas forcément proposés par des tatoueurs masculins. Au début, j’étais incapable de dire à quel genre j’appartenais, j’étais trop contente de pouvoir vivre convenablement à un âge aussi jeune. J’adore également le neotraditionnel et le réalisme, mais faire des personnages avec des grands yeux c’est super joyeux à tatouer !

Tu as fait ton apprentissage au salon Wallifornia Ink dans lequel tu es toujours aujourd’hui, qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi lorsque tu as commencé ?

Cammiyu : Se demander « et si je n’appréhende pas le support, si je n’y arrive pas et que je rentre chez moi la queue entre les jambes ?! » Ha ha ! C’était stressant de se dire que j’aurais tout quitté; mon pays, mes amis, ma famille, pour subir un échec. Je crois que je ne m’en serais pas remise !

L’aspect technique a été une difficulté importante à surmonter. Quand l’aiguille s’enfonce dans la peau pour la première fois, déjà le bruit de la machine (Rudy m’a fait commencer avec des machines traditionnelles qui font un boucan du diable, machines que j’utilise toujours) tu as l’impression qu’un avion est en train de démarrer… Monter les aiguilles sur la machine, c’est l’horreur, car tu cherches à ne pas les abîmer en les passant dans la buse jetable, ça te prend trois plombes, car tu trembles comme une feuille. Et le piquage… Eh bien l’encre bave de partout si bien que tu traces, mais tu ne sais pas où en est ton trait tant que tu n’as pas essuyé la peau. D’autant qu’en fonction du type de peau la difficulté peut s’accroître. Certaines personnes boursoufflent dans la minute qui suit et d’autres saignent plus que les autres. Si la personne bouge aussi alors que tu es toi-même en apnée, tu n’as qu’une envie : la ligoter sur le fauteuil, ha ha !

L’autre aspect qui a été difficile c’est le relationnel : quand tu es timide et empathique, c’est dur d’être face à quelqu’un qui souffre et encore plus quand tu ne peux pas vraiment le rassurer ou que tu ne sais pas comment le faire. Ça vient avec le temps et le contact clientèle, mais au début c’est le flou total.

Qu’est-ce qui te plait le plus dans ce métier ? 

Cammiyu : La confiance qu’on nous porte, le fait qu’on nous choisisse pour les dessins qu’on propose. C’est très égocentrique comme réponse, mais je la mets en écho avec mon passé aux beaux-arts où on m’a ignorée pendant 3 ans. Quand tu as fini, tu poses ta machine, et la personne se regarde devant le miroir. Voir la satisfaction dans leur regard quand ils te disent merci, pour quelque chose qu’ils vont porter toute leur vie et que tu as mis tout ton cœur à dessiner et confectionner pour eux… C’est absolument génial. Je rentre tous les soirs accomplie à la maison.

Quand on te demande un projet personnalisé, comment l’alchimie se crée entre l’idée de ton client et ta réalisation ?

Cammiyu : Nous avons déjà un « règlement » une marche à suivre qui les avertis que nous ne faisons pas tous les styles. Par exemple, je ne suis pas polynésienne, je ne sais pas faire du maori et je préfère les rediriger vers un confrère qui lui va prendre son pied à faire le projet.

Avec le mail suivant cette procédure, les potentiels clients doivent joindre des images d’exemples de mon travail pour cibler le graphisme, un boui-boui, ou un personnage plus travaillé. De là on met en place une consultation d’une heure qui a lieu un samedi.

Mes samedis sont réservés à l’accueil clientèle et aux retouches. Je dessine le croquis abouti directement devant mon client, il est tout à son aise de me guider dans la procédure, on peut voir l’ampleur finale du projet, et ils repartent avec une idée très précise du dessin. C’est très joyeux, car les gens viennent souvent accompagnés. On discute en même temps, et je leur consacre pleinement mon temps pour être sûre que la finalité sera bien ce qu’ils ont en tête.

As-tu toujours le même rapport au dessin maintenant que tu es tatoueuse ? 

Cammiyu : Je suis juste triste de ne pas avoir du temps pour dessiner pour moi. Par contre les consultations clients, où je dois dessiner sur le moment et sortir un dessin dans l’heure qui plaise au client et à moi même, m’ont forcées à acquérir une certaine rapidité. Je construis plus vite mes compositions. Mais je dessine aussi différemment. Une illustration peut être plus « fouillis », plus abstraite. Un tatouage même le plus petit détail doit être lisible, tu ne fais pas un petit gribouillis informe en te disant « ça fera une fleur d’arrière plan, ça passe… ».

Aujourd’hui, ce qui me manque le plus, c’est de peindre. D’ailleurs, le peu de fois où ça m’arrive, je suis presque plus gênée en face de ma toile que devant de la peau toute nue, ce qui peut paraître assez paradoxale.

Est-ce qu’il y a un projet/tatouage qui t’a marqué plus qu’un autre ?

Cammiyu : Les clients ne m’expliquent pas forcément ce que leur tatouage signifie, et je ne le demande pas. Si la précision est nécessaire pour que le dessin soit adapté, ils me l’expliquent d’eux-mêmes. Je pense que ceux qui me marquent le plus sont ceux où je sais ce que cela représente pour eux. Quelques larmes sont parfois versées, car c’est très touchant.

J’ai aussi eu beaucoup de frayeur en tatouant mes proches, amis ou ma famille. L’un des premiers amis que je me suis fait en Belgique a été mon cobaye. C’était une pièce sur le poignet si bien qu’il regardait en même temps ce que je faisais. À un moment, je me suis sentie hyper mal et j’ai cru que j’allais vomir. J’ai été obligée de m’arrêter car je sentais que j’allais pleurer. Il y a une pression de dingue de savoir que ton dessin va être inscrit à vie sur une personne.

Sur ta page, tu prends de ton temps pour expliquer à tes fans certaines choses. On sent que tu es très investie et que tu mets un point d’honneur à ce que la relation entre tes clients et toi se passe au mieux. Dirais-tu que le rapport humain est aussi important que le dessin lui-même dans ton métier ? 

Cammiyu : Tout à fait. Ce n’est pas forcément évident quand on n’est pas du milieu, par exemple si je fais réparer ma voiture, je sais que je vais poser des questions qui vont paraître bêtes ou innocentes comme je n’y connais rien. C’est important d’expliquer un peu l’aspect technique pour que le client sache ce qu’il va se passer. Ce n’est pas une tare de ne pas savoir, mais comprendre les enjeux pour le client, ou pour nous tatoueurs, n’est pas à perdre de vue pour une bonne compréhension. Je n’aimerais pas par exemple me faire tatouer par quelqu’un d’antipathique ou insipide. Je porterai son travail qui certes pourra être très beau, mais si la personne n’est pas agréable, cela peut rendre le moment d’autant plus difficile à supporter et douloureux.

Quels sont tes projets pour 2018 ?

Cammiyu : Boire plein de bière et manger des frites. Ha ha !

Non, mon plus grand projet personnel sera de repartir à l’étranger toute seule, certainement en Asie. Je vais aussi revenir en guest à quelques endroits en France. Me faire tatouer, car j’attends un peu mon tour aussi ! Continuer le sport, prendre soin de mes amis, me laisser porter par la vie…

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