Garçons est un spectacle qui a été créé en 2014 pour rendre hommage aux années Canetti par la salle des Trois Baudets. Deux ans plus tard, Garçons donne lieu à une nouvelle version composée de Carmen Maria Vega, Zaza Fournier et Cléa Vincent.
Un an et demi après avoir découvert ce projet qui m’avait enchantée, me voilà au Café de la Danse pour y assister une seconde fois. Qui l’eût cru ? Ce qui devait rester un spectacle de reprises a été porté un peu plus loin, car désormais les trois filles ont décidé de remettre leur costume pour une nouvelle tournée et ont même sorti un EP.
La salle est comble quand dans un jeu d’ombre et de lumière, trois silhouettes se dessinent avant de se dévoiler classement vêtues d’un costard noir, nœud papillon et chapeau. Le trio trompe les apparences en se mettant dans la peau d’hommes pour un soir. Toi, Le Venin de Lucien Jeunesse ouvre ce spectacle, elles chantent chacune leur tour, s’échangent les couplets et font des harmonies, faisant déjà forte impression comme si un parfum dangereux flottait dans l’air. On le reconnait tous ce parfum, c’est celui du jeu de l’amour et nous sommes déjà sous le charme.
Chacune des artistes a sa propre personnalité, sa propre voix. Carmen Maria Vega porte haut la sienne avec beaucoup de caractères et d’émotions. Elle est le séducteur et pourtant incarne des textes forts. Cléa Vincent est le garçon sage de la bande, celui qui rechigne à boire du Whisky, à la voix douce et à la musique toujours joyeuse et amusante. Zaza Fournier vient créer l’équilibre entre ces deux-là, son corps devient un second moyen d’expression apportant de la profondeur aux textes qu’elle chante, un supplément de véracité et d’incarnation. À elles trois, elles transforment les musiques originales avec leurs instruments (synthé, ukulélé, pad, accordéon…) et leur voix pour une interprétation personnelle, plus moderne et plus forte.
Garçons nous fait redécouvrir des chansons des années 50 à 70. Si nous connaissons tous Serge Gainsbourg, Johnny Hallyday ou Claude Nougaro, les textes choisis ne sont pas les plus connus comme Ce Mortel Ennui, Pas Cette Chanson ou Ouh ! Allez-y Les Bergères. C’est donc avec plaisir que nous les découvrons ou redécouvrons.
Le point fort de ce spectacle réside dans l’interprétation qu’elles en font, jonglant entre humour et émotion. Bien qu’il n’y ait pas de fil conducteur, les chansons sont parfois entrecoupées de sketchs. Ensemble, elles adoptent des attitudes de mâles, boivent de l’alcool pour se donner un peu de courage, jouent à la roulette russe pour tuer l’ennui ou encore reluquent la voisine à la fenêtre (interprété par Raphaël Thyss qui les accompagne sur la partie instrumentale). Il n’est pas rare d’entendre dans la salle, les rires des spectateurs. Elles utilisent le second degré et enfoncent copieusement le clou même quand elles chantent. Carmen joue du pipeau sur « si tu t’en irais » ou encore Zaza Fournier qui relève les jeux de mots sur « prends mon bouquet » de Bourvil, accentuant l’aspect comique.
Elles roulent des mécaniques, mais n’hésitent pas non plus à montrer la sensibilité des hommes, parce que si l’amour touche les femmes, il touche tout autant la gente masculine. Un savant mélange qui justifie les copieux applaudissements qu’elles reçoivent.
Au même titre qu’un héros a le droit à son monologue dans une pièce de théâtre, Zaza, Carmen et Cléa ont leurs chansons à elles, en composition solo. Si nous n’étions pas assis, Carmen nous aurait foutu le cul par terre avec son interprétation de Est-ce Ainsi que les Hommes Vivent et Ma Fille, venant tirer ce qu’il y a de plus sensible au fond de nous. Zaza Fournier quant à elle s’attaque à un monument avec Avec Le Temps de Léo Ferré qu’elle réussit à merveille, nous embarquant avec justesse sur le fil de la nostalgie, alors que Cléa Vincent nous fout la patate comme elle en a le secret, nous communiquant ce sourire qu’elle a toujours aux lèvres.
Zaza Fournier a ce discours pertinent avant de chanter Isabelle, remettant en question notre appartenance à un sexe en fonction de nos propriétés physiques :
« Et toi, dont les cheveux caressent mes épaules, toute pleine de ta féminité, voilà qu’à l’intérieur c’est comme un équilibre nouveau, c’est comme si toute ton énergie était ramassée, réunie, concentrée en un seul point là, à la naissance de tes cuisses. C’est un animal nouveau qui naît. Un animal inconnu jusqu’alors. Et quand l’autre te trouble, c’est lui qui exprime ton désir à ta place. Il se relève, il se dresse, fier, prêt à tous les combats.
Est-ce que ça fait de toi un homme ? »
Voilà, je crois, la véritable question de ce spectacle.
Elles terminent en rappel sur La Maladie d’Amour d’Henri Salvador concluant justement ce spectacle d’une heure et demie.
Un spectacle original, qui s’adresse indifféremment aux deux sexes, aux différentes générations, venant titiller quelque chose en nous. Une réussite qui mérite d’être portée encore un peu plus loin. À quand l’album ?